On est souvent frappé, à la lecture des bonnes histoires du passé sur les arts martiaux d’Asie, par la profusion des écoles et des styles, et on se dit parfois qu’il y a là comme un manque d’humilité à vouloir, pour chaque génération d’experts, « se faire un nom » à part, sortir de la lignée. En fait, si on s’étonne, c’est qu’on ne comprend plus l’essentiel : c’est qu’un enseignement doit nécessairement nous faire sortir du sillage, non pas en quittant la voie du maître, mais en la renouvelant pour soi-même. L’aboutissement d’un enseignement, c’est sa « refonte » par celui qui en a été le bénéficiaire. C’est une pensée universelle, un art de transmettre si partagé par les traditions anciennes, qu’il fait peut-être partie de la grande tradition originelle si elle existe. C’est un modèle qui remonte à loin, une compréhension ancienne de la méthode pour s’accomplir dans une expertise et à travers elle, comme homme.
Shu ha ri est un concept issu des arts martiaux japonais qui décrit les 3 étapes de l’apprentissage. Il est parfois appliqué à d’autres disciplines comme le jeu de go.
Shu Ha Ri peut se traduire par suivre les règles, comprendre les règles et transcender les règles.
- Shu (守:しゅ, « protéger », « obéir ») — sagesse traditionnelle — apprendre les fondamentaux
- Ha (破:は, « se détacher », « digresser ») — casser avec la tradition — trouver les exceptions à la sagesse traditionnelle, trouver de nouvelles approches
- Ri (離:り, « quitter », « se séparer ») — transcender — il n’y a plus de technique ou de sagesse traditionnelle, tous les mouvements sont permis.
Shu Ha Ri peut être vu comme des cercles concentriques, avec le Shu dans le Ha, puis le Shu et le Ha dans le Ri. Les techniques et connaissances fondamentales ne changent pas.
«Shu» est le stade de l’imitation. Le professeur, la pratique elle-même, brisent (symboliquement) le corps pour le rebâtir, l’égo pour le reformer. C’est un stade de contrainte, de rudesse, parce qu’on ne sait pas, parce qu’on ne peut pas ou parce qu’on croit ne pas pouvoir, parce que le corps et l’esprit doivent s’affermir, se transformer pour faire face au premier choc. Mais c’est aussi un stade d’enthousiasme et de détermination, un stade finalement confortable, une fois le choix de départ fait. Juste vouloir et imiter.
«Ha» est le stade du détachement. Cette étape décisive est celle que les faux maîtres ne souhaitent jamais voir arriver. Leur «pouvoir» va être affaibli par cette transformation décisive de bon imitateur en voyageur. L’élève rejoint le maître dans la forme. Aux esprits étroits, la menace est claire : l’indépendance future de l’ancien élève va naître de ce voyage. La forme maîtrisée doit être passée à l’épreuve des rencontres, de la solitude et du travail personnel. C’est une époque de maturité nouvelle.
«Ri» est le stade de l’éloignement. L’éloignement physique car il peut vivre sa pratique où il veut, mais surtout l’éloignement intérieur, qui est celui de la maturité du cœur comme celui de sa propre expertise. Les voies de la maturation l’emmènent sur son propre chemin.
« Le monde est un livre dont chaque pas nous ouvre une page » A. de Lamartine